Parution du livre “Dominer et défendre le territoire à l’époque des bastides” (15 oct. 2020)

Interview de Jean-Paul Valois : 2/ Le domaine des Foix-Béarn, un nouvel éclairage ?

Jean-Paul, le livre propose des exemples dans les Landes, dans le Gers, et vers Dordogne et Lot, mais puisque tu habites en Béarn, eset-ce que ce livre suggère un éclairage nouveau sur la chaîne et son piémont ? Peux-tu resituer le Béarn d’alors en quelques mots ?

Il est connu que différents vicomtes du Béarn ont revendiqué haut et fort une certaine autonomie ; toutefois les Béarnais ne vivaient pas en autarcie : les transhumances d’hiver menaient leurs brebis et vaches plus au nord jusque dans le Bordelais. Un accord signé en 1276 avec le roi-duc est à mes yeux l’un des indices convaincants sur l’importance des transhumances dès le Moyen Âge.

Justement, ces bergers et pasteur arpentaient donc l’espace, c’est le thème du livre ?

Ils « arpentaient » au propre comme au figuré ! Au figuré, ils se déplaçaient à grande échelle, comme nous venons de l’évoquer ; mais en montagne, leur espace était délimité : Jean-Pierre Dugène l’a montré en relevant patiemment signes et bornes dans la montagne ossaloise. Ces limites étaient peut-être, voire sans doute, différentes au Moyen Âge mais il y a lieu de penser qu’une délimitation des secteurs de montagnes était alors déjà en place. En plaine, tout autre contexte, nous l’avons évoqué dans l’autre section de l’interview : le bornage exécuté sous Philippe-le-Bel pour délimiter La Bastide-Clairence est toujours observable ! Le Moyen Âge pratiquait donc à l’occasion des limites précises, contrairement à une idée commune.

Vicomte d’une part et bergers d’autre part avaient donc chacun leurs propres limites ?

C’est l’un des points énigmatiques qui ont motivé ce livre. La conception de l’espace qu’a cherché à mettre en place le vicomte fin XIIIe et au XIVe siècle (avec des lots délimités et fiscalisés pour les bastides par exemple), s’appuyant sur le droit romain diffusé par les universités aux XII-XIIIe siècles, n’avait rien à voir avec les usages de libre pâture, qui laissaient chacun parcourir librement des terres mises en commun (quoique délimitées comme nous l’avons dit).

Les bergers, au nom d’une coutume ancestrale, s’opposaient au droit romain venu des universités ?

L’un des points originaux du livre est de suggérer que ces coutumes ancestrales reposaient elles aussi, à l’origine, sur du droit romain : mais par le biais de compilations bien antérieures – disons en gros wisigothiques pour schématiser. Cette influence de compilations anciennes a été établie par ailleurs dans les Pyrénées Orientales, elle semble réelle sur les coutumes en Pyrénées centrales, il en était probablement de même dans notre secteur ; ces traditions disposaient qui avait la garde des territoires indivis.

Le secteur Foix-Béarn-Marsan fait par ailleurs l’objet de tout un chapitre, sous l’angle de ses pratiques matrimoniales ?

De cette période du Moyen Âge, émergent dans nos souvenirs d’écolier faits d’armes et batailles dont il fallait apprendre les dates ! Pour les royaumes de France et d’Angleterre, les conflits militaires ont certes joué un rôle majeur. Mais pour le Sud-Ouest, la fenêtre de temps un peu plus pacifiée que nous observons alors met l’accent sur un autre facteur : l’importance des arrangements matrimoniaux. Nous n’apportons pas de scoop par rapport aux recensions de P. Tucoo-Chala, Ch. Desplat ou D. Bidot-Germa, un tableau récapitulatif est toutefois proposé pour détailler les modalités de ces unions. Nous mettons un fait en lumière : par rapport au noyau initial du Béarn en Vic-Bilh, le territoire dont hérite Gaston-Fébus est pour 97% de sa surface issu de cette politique matrimoniale (avec ses aléas). Elle est donc un moteur important, ici même principal, d’expansion de la seigneurie. Le livre en propose différentes raisons sous-jacentes. Mais ce sont bien ce sont bien ces territoires agrandis, que l’on nomme désormais principautés, qui vont nécessiter de nouveaux modes d’organisation, d’administration, comme nous l’avons évoqué. Avec les conflits qui vont en résulter par rapport aux communautés traditionnelles. Oui, les XIII-XIVe siècles sont l’époque de changements importants dans la société, mais ils résultent bien sûr de ce que les siècles précédents avaient préparé.